Le questionnement

projet ea 4712

Le projet scientifique de l’EA 4712 est né de l’observation clinique récente de troubles comportementaux chez des patients parkinsoniens dans les suites d’une intervention de stimulation cérébrale profonde (SCP) des noyaux subthalamiques (NST) pour améliorer leurs fluctuations motrices (Temel et al, 2006).

La méthode de stimulation électrique chronique du NST a été introduite par l’équipe du Pr. Louis Benabid de Grenoble en 1993. Elle repose sur des études expérimentales menées sur l’animal. Dans le modèle de maladie de Parkinson chez le singe, la destruction ou la stimulation à haute fréquence des neurones du NST entraînent la disparition des signes parkinsoniens notamment la rigidité et l’akinésie (Benazzouz et al, 1993 ; Guridi et al, 1996). La SCP du NST module l’hyperactivité de cette structure et par conséquent réduit l’action inhibitrice du pallidum interne sur le thalamus moteur, facilitant l’activation des aires motrices corticales. Les études en tomographie à émissions de positons (TEP) ont permis de confirmer ces résultats : une augmentation d’activité de l’aire prémotrice supplémentaire, du cortex frontal dorsolatéral et de la région cingulaire est induite par la stimulation subthalamique à haute fréquence (Schroeder et al, 2003 ; Hilker et al, 2004). La stimulation subthalamique chronique permet le contrôle de la plupart des symptômes parkinsoniens, y compris les dyskinésies (Limousin et al, 1995 ; Limousin et al, 1998).

Des modifications du comportement induites par la stimulation subthalamique sont parfois observées chez les patients stimulés. Outre un état de tension psychique angoissante associé à des manifestations objectives de stress induit directement par la stimulation per-opératoire rapportés par notre groupe (Sauleau et al, 2005), sont observés en post-opératoire des variations thymiques tels que des troubles anxio-dépressifs voire des épisodes dépressifs majeurs, une augmentation de l’irritabilité, des troubles du contrôle émotionnel et un émoussement affectif (Bejjani et al, 1999 ; Kulisevsky et al, 2002 ; Romito et al, 2002 ; Sensi et al, 2004). Des troubles comportementaux avec notamment une dépendance environnementale, des comportements persévératifs et impulsifs, une désinhibition et une apathie sont aussi rapportés (Funkiewiez et al, 2004), ce que nous avons pu confirmer par une étude menée au sein de notre groupe (Drapier et al, 2006). Les auteurs mettent également en évidence la présence de troubles du jugement et de l’ajustement social, ainsi que des perturbations dans l’expression émotionnelle et dans les relations interpersonnelles. Enfin des perturbations de la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles ont également été observées. L’interprétation proposée pour expliquer ces perturbations rejoint celle qui a été proposée pour expliquer les troubles comportementaux. Sachant que la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles requiert l’intervention des boucles orbito-frontales et cingulaires antérieures, la perturbation de cette capacité refléterait un dysfonctionnement limbique induit par la SCP du NST.

Au total, ces changements comportementaux, émotionnels et sociaux seraient dus à la stimulation du NST influençant des voies non motrices impliquant les circuits striato-thalamo-cortical orbito-frontal et cingulaire antérieur mis en jeu dans l’initiation et la conduite des processus motivationnels (Saint-Cyr et al, 2000 ; Trépanier et al, 2000).

Les modifications comportementales n’étaient pas attendues compte tenu des connaissances jusqu’ici acquises du rôle du NST, tant chez l’animal que chez l’homme. Inversement, des patients parkinsoniens présentant de façon coïncidente des troubles obsessionnels compulsifs ont vu très nettement s’améliorer ces symptômes après la réalisation d’une stimulation bilatérale du NST (Mallet et al, 2002).

Ces observations apportent un haut niveau de preuve que la SCP est un modèle exceptionnel d’étude des fonctions cognitives et limbiques impliquant les noyaux gris centraux chez l’homme. Une double question était ainsi soulevée. La première est d’ordre fondamental : quel est le rôle respectif des compartiments sensori-moteur, associatif et limbique des circuits cortico-sous-corticaux impliquant les noyaux gris centraux, en particulier le NST ? La deuxième question est d’ordre thérapeutique : est-il possible de modifier sélectivement le fonctionnement de chacun des compartiments par le biais de la stimulation cérébrale profonde ?

A l’heure actuelle, si les déterminants moteurs de la SCP sont étudiés de manière extensive par de nombreuses équipes dans le monde, les modifications comportementales et émotionnelles induites ne font l’objet, à notre connaissance, d’aucun examen détaillé et systématique. Les déterminants et les processus mis en jeu ne sont pas clairement identifiés même si des hypothèses neuroanatomiques ont été proposées pour expliquer ces perturbations. Le dénominateur commun de ces différentes perturbations semble se situer au niveau des compartiments associatif et limbique des noyaux gris centraux.

Deux approches complémentaires ont été envisagées au sein de l’EA 4712 durant les cinq dernières années : 1) évaluer et décrire chez l’homme les effets comportementaux de la SCP du noyau subthalamique dans le domaine des émotions et de la motivation par la neuropsychologie corrélée à l’imagerie fonctionnelle, en utilisant le modèle de la maladie de Parkinson et des troubles obsessionnels-compulsifs ; 2) mieux comprendre la physiopathologie d’affections neuropsychiatriques touchant la sphère affective et comportementale et impliquant les noyaux gris centraux (troubles obsessionnels compulsifs, dépressions résistantes) grâce aux modèles déduits de la première approche.

Au regard des résultats obtenus, la valorisation a été d’emblée envisagée avec l’étude de nouvelles cibles thérapeutiques corticales (stimulation magnétique transcrânienne) et sous-corticales (SCP) et la mise au point d’outils de neuronavigation et de recueil de données multimodales.

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