A ce jour, plus de 40 millions de personnes dans le monde souffrent d’épilepsie, la deuxième neuropathologie par le nombre de personnes atteintes (0,8%) après la migraine et qui peut survenir à tout âge.. Plus de 100 millions de personnes dans le monde feront l’expérience d’une crise d’épilepsie au cours de leur vie.
Les patients épileptiques sont sujets à des crises soudaines et imprévisibles qui ont un impact important sur leur vie quotidienne, avec une perturbation temporaire du contrôle moteur, de la perception, du langage, ou de la mémoire, par exemple. Même si des progrès significatifs ont été réalisés en termes de stratégies pharmacologiques et d’effets secondaires, environ un tiers des patients épileptiques ne peuvent être traités avec des médicaments antiépileptiques. Le fait que la recherche sur l’épilepsie progresse lentement et qu’aucune percée majeure n’ait été réalisée dans le traitement des épilepsies pharmaco-résistantes peut s’expliquer par la complexité des processus neuronaux mis en jeu dans cette maladie. Tout d’abord, les mécanismes physiopathologiques (pour la plupart non-linéaires) impliqués dans les systèmes neuronaux épileptogènes s’expriment de l’échelle subcellulaire (« channelopathies », (Kullmann and Waxman, 2010)) à l’échelle des réseaux de neurones (network hypothesis, (Hetherington et al., 2007)). De plus, dans de tels systèmes, la plasticité synaptique (à court et long terme) et le métabolisme énergétique jouent également un rôle crucial. Ces arguments illustrent le fait que l’épilepsie est une maladie qui peut résulter de causes multiples qui mènent toutes à une altération de l’excitabilité des réseaux neuronaux impliqués, et ce à différentes échelles temporelles et spatiales. C’est pourquoi l’épilepsie est souvent qualifiée de « maladie dynamique complexe » (Lopes da Silva et al., 2003). Un premier concept qui a suscité un intérêt particulièrement fort dans la recherche sur l’épilepsie est l’ictogénèse, c’est-à-dire la capacité, anormale, des systèmes neuronaux à générer de l’activité épileptique, en particulier des crises. Ce point est particulièrement important puisque les stratégies thérapeutiques visent précisément à supprimer ces épisodes de crises, qui affectent dramatiquement de nombreux aspects de la qualité de vie des patients. L’ictogénèse fait encore l’objet de nombreuses études chez l’homme et chez l’animal (modèles animaux, in vitro et in vivo). Un second concept qui a émergé plus récemment est celui d’épileptogénèse, définie comme la tendance des systèmes neuronaux à devenir épileptiques, généralement après une lésion initiale (traumatismes, tumeurs, convulsions fébriles). Ce concept est fondamental puisqu’une meilleure compréhension des processus impliqués dans l’épileptogénèse pourrait potentiellement mener à des stratégies préventives visant à empêcher l’apparition de la maladie caractérisée par des crises récurrentes (revue dans (Pitkanen, 2010)). Des articles récents (Loscher and Brandt, 2010; Pitkanen and Lukasiuk, 2011; Qureshi and Mehler, 2011) soulignent la faiblesse du nombre d’études menées sur le processus d’épileptogénèse, d’autant plus que la possibilité d’ « interférer » avec ce processus aurait des retombées majeures en termes de thérapie. En effet, des stratégies préventives pouvant retarder l’apparition de l’état épileptique chronique pourraient être mises en œuvre suite à une lésion initiale (traumatisme crânien, convulsions fébriles, …). De plus, une meilleure compréhension du processus d’épileptogénèse, et de la relation entre les changements structurels (topologie) et fonctionnels (transmission synaptique) des réseaux neuronaux permettrait de mieux cerner les mécanismes pathologiques impliqués pour ensuite proposer de nouveaux outils diagnostiques et thérapeutiques. Objectifs des travaux Ce projet de recherche porte sur l’étude de l’épileptogénèse. Il vise à introduire des méthodes i) de stimulation des systèmes neuronaux, ii) de traitement des données multimodales recueillies à partir de ces systèmes au cours de l’installation de l’épilepsie et iii) de modélisation de ces données afin d’expliquer les changements observés. Dans un premier temps, il sera centré sur les épilepsies mésiales du lobe temporal pour lesquelles l’équipe d’accueil SESAME (Systèmes Epileptogènes : Signaux et Modèles) du LTSI (Laboratoire Traitement du Signal et de l’Image, INSERM U1099 – Université de Rennes 1) dispose d’un modèle souris in vivo (modèle kainate). Les travaux qui seront menés sur ce modèle devront répondre à trois objectifs principaux : 1) Découvrir les marqueurs électrophysiologiques et métaboliques (« biomarqueurs ») spécifiques liés à l’épileptogénèse, et caractériser leur évolution depuis le traumatisme initial jusqu’à l’apparition des crises récurrentes marquant le début de l’état épileptique chronique. 2) Comprendre les liens entre l’évolution de ces biomarqueurs et les réorganisations sous-jacentes dans les systèmes neuronaux explorés. 3) Apporter une preuve de concept selon laquelle on peut perturber, grâce aux neurostimulations électriques, la réorganisation des systèmes neuronaux impliqués dans l’épileptogénèse de manière à retarder, voire empêcher, l’apparition de l’état épileptique chronique. Répercussions cliniques Grâce à ce projet, nous allons développer des protocoles de neurostimulation spécifiques permettant non seulement de mieux caractériser les modifications structurelles et fonctionnelles qui s’opèrent pendant le processus d’épileptogénèse, mais également d’identifier les paramètres de stimulation permettant de réduire l’excitabilité des régions cérébrales impliquées et, in fine, ralentir le développement de la maladie. Ces résultats seraient potentiellement transférables dans le domaine clinique. Une première application clinique serait la possibilité de proposer des stratégies de neurostimulation préventives suite à un traumatisme initial, et ce afin de retarder, voire empêcher, la survenue des premières crises. Une seconde application concerne la stimulation transcranienne directe ou tDCS (déjà utilisée pour caractériser et modifier l’excitabilité corticale chez des sujets sains et des patients atteints de divers troubles neurologiques, voir (Nitsche et al., 2008) pour un état de l’art). Très concrètement, les résultats issus de ce programme de recherche pourraient permettre de progresser dans l’utilisation de cette technique non-invasive (électrodes posées sur le scalp) dans les épilepsies causées par des dysplasies corticales focales, l’espoir étant de diminuer l’excitabilité de zones localisées du cortex cérébral afin de diminuer la fréquence des crises chez les patients concernés (Nitsche and Paulus, 2009). Cette application fera aussi appel à l’expertise développée au sein de l’équipe SESAME dans le domaine de la tDCS (Molaee-Ardekani et al., 2011).Synergie du projet proposé avec les autres équipes de l’INCR Les neurostimulations constituent l’un des thèmes fédérateurs au sein de l’INCR. Que se soit dans la maladie de Parkinson ou dans les épilepsies, la questions des effets des courants électriques sur les systèmes neuronaux est centrale. Sur ce thème, le développement de modèles biophysiques représentant ces effets, couplés à des méthodes d’imagerie permettant leur visualisation dans un repère anatomique patient-spécifique constituera un axe de recherche transversal qui renforcera la collaboration entre les équipes de l’INCR (celles de M. Verin, P. Janin, B. Gibaud et C. Barillot, en particulier). Références Hetherington HP, Kuzniecky RI, Vives K, Devinsky O, Pacia S, Luciano D, Vasquez B, Haut S, Spencer DD, Pan JW. 2007. A subcortical network of dysfunction in TLE measured by magnetic resonance spectroscopy. Neurology 69(24):2256-65. Kullmann DM, Waxman SG. 2010. Neurological channelopathies: new insights into disease mechanisms and ion channel function. J Physiol 588(Pt 11):1823-7. Lopes da Silva FH, Blanes W, Kalitzin SN, Parra J, Suffczynski P, Velis DN. 2003. Dynamical diseases of brain systems: different routes to epileptic seizures. IEEE Trans Biomed Eng 50(5):540-8. Loscher W, Brandt C. 2010. Prevention or modification of epileptogenesis after brain insults: experimental approaches and translational research. Pharmacol Rev 62(4):668-700. Molaee-Ardekani B, Márquez-Ruiz J, Merlet I, Leal-Campanario R, Gruart A, Sánchez-Campusano R, Birot G, Ruffini G, Delgado-García J, Wendling F. 2011. Effects of transcranial direct current stimulation (tDCS) on cortical activity: a computational modeling study. Brain Stimulation. In press. Nitsche MA, Cohen LG, Wassermann EM, Priori A, Lang N, Antal A, Paulus W, Hummel F, Boggio PS, Fregni F and others. 2008. Transcranial direct current stimulation: State of the art 2008. Brain Stimul 1(3):206-23. Nitsche MA, Paulus W. 2009. Noninvasive brain stimulation protocols in the treatment of epilepsy: current state and perspectives. Neurotherapeutics 6(2):244-50. Pitkanen A. 2010. Therapeutic approaches to epileptogenesis–hope on the horizon. Epilepsia 51 Suppl 3:2-17. Pitkanen A, Lukasiuk K. 2011. Mechanisms of epileptogenesis and potential treatment targets. Lancet Neurol 10(2):173-86. Qureshi IA, Mehler MF. 2011. Advances in epigenetics and epigenomics for neurodegenerative diseases. Curr Neurol Neurosci Rep 11(5):464-73.
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